2e partie Nosy Be (15-26 mars)
La première partie de ma mission s’achève, j’ai donc rendu un premier rapport d’évaluation sur la gestion du parc marin de Nosy Tanikely. J’ai fait pas mal d’entretiens, notamment avec le Premier adjoint de la Commune urbaine de Nosy Be, les membres de l’Office du Tourisme, la représentante du PIC (Projet intégré de Croissance, Banque mondiale) et directrice du parc par intérim... J’ai aussi poursuivi mes questionnaires aux visiteurs du parc et aux prestataires (guides, guides plongée, skippers informels appelés « beach boys » ici !) Je suis aussi retournée plusieurs fois sur site pour observations, et bien que la co-gestion soit présentée comme une « Success story » par les bailleurs (WWF), certaines choses ne fonctionnent pas. Pas facile de ménager les sensibilités (ici les gens font bcp d’histoires) tout en établissant une évaluation impartiale. J’ai donc trouvé ma mission intéressante.
Le skipper m'a autorisé à conduire le bateau menant à la réserve marine pendant quelques minutes !
Une partie de l'équipe terrain
Concernant le reste, la vie quotidienne, c toujours autant la galère. Tous les matins et tous les soirs, je prends le « taxi collectif ». Le concept c’est d’en mettre le plus possible dans une 4L, alors on s’entasse ! A titre d’exemple, hier matin, 4 devant (les vitesses sont en hauteur), et mon record est de 11 ! Ces corps entassés, pour ma part dans les 4L, pour les autres, dans les cabanes, les camions, partout… C’est la survie ici. Le corps occidental n’est pas habitué à cette promiscuité, c’est souvent bestial.
C’est le paradis du recyclage des voitures des années 80 ici, l’autre jour, j’ai même vu une R5 avec marqué « Taxi, vers Hyères Aéroport », la classe !
Les chauffeurs ont une façon bien particulière de conduire, dès qu’on est en descente, ils arrêtent le contact, on glisse puis dès que ça remonte, ils rallument, et ce, tout au long du trajet. En même tps, je ne suis pas sure que relancer le moteur ne fasse pas consommer plus d’essence ! C la débrouille aussi : des systèmes avec des bouteilles en plastiques pour l’essence, ça bricole dans tous les sens, travailler à côté d’un garage, ça apprend !
Notre bungalow est plein de bestioles : des lézards multicolores, des caméléons, mais surtout plein de petites bêtes, notamment les fourmies qui nous piquent toute notre bouffe et enfin, les moustiques, qui aiment défoncer notre peau, plus récemment, des rats et j’ai appris aujourd’hui qu’une épidémie de peste arrivait, chouette !
Il n’y a qu’une seule route sur l’ile alors on ne peut rien faire sans que quelqu’un de notre travail finisse par nous dire qu’il nous a aperçu tel jour, en train de faire telle chose avec telle personne. En plus, les gens ici raffolent des « ragots », personnellement, je dirai plutôt qu’ils aiment faire des histoires et beaucoup de projets échouent simplement pour des histoires d’ordre personnel, de pouvoir ou encore par des personnes qui bloquent les projets pour capter un peu d’argent.
L’intimité n’existe pas ici, devant notre bungalow se trouve notre table pour manger, on vit dehors parce qu’il fait très chaud mais pas un moment sans que la «Nounou » (femme de ménage), le jardinier, le gardien ou un vendeur de mangues ou de crevettes ne passent par là…
Nounou et Nana qui font des tresses à Mylène
Je quitte Hell-Ville mais commençait presque à me repérer dans ce brouhaha continuel : des 4L, des vélos, des enfants, des charrettes à zébu, partout, dans tous les sens, de la poussière, et cette chaleuuuur…
Un mariage
Produit de beauté local
Samedi soir dernier, j’étais dans ce village réputé pour son tourisme sexuel : deux bars à putes principalement, même si les « couples » mixtes sont partout. Et ces vieux hommes qui osent me dire « oh mais tu sais, elles se font dépuceler à 12 ans par leur oncle ici, alors des mineures, pas vraiment… Et puis, au moins, elles ne travaillent pas pour une mafia, c’est pour leur famille cet argent » Oui, ces hommes ont bien souvent le même discours, ils assument à fond, « oh mais on n’est là pour s’amuser, tu sais à 80 ans, on a encore envie de baiser !» Bref, tout le monde trouve ça normal et il y a même du beau monde (député européen par exemple).
Les seuls Vazaha censés que l’on rencontre ont sombré dans un cynisme à toute épreuve, « Chaque jour, on construit sur un édifice qui s’écroule » m’a récemment dit un journaliste/consultant très impliqué à Madagascar, depuis 15 ans. J’ose demander : « Comment envisagez-vous la sortie de crise ?». « Une fois que les politiques auront pris toutes les richesses de ce pays et que le peuple sera exsangue, alors peut-être que les gouvernants de ce pays se diront qu’il n’y a plus rien à prendre et qu’il est temps de faire qq chose… »
Il fait toujours aussi chaud, on est souvent à 35 degrés à l’ombre et je viens d’apprendre que là où je me rends lundi, il y fait encore plus chaud. J’ai du mal à croire que c possible !
Je quitte donc lundi matin Nosy Be pour rejoindre la « Grande terre » comme on dit ici, taxi brousse, bien sûr, afin de rejoindre la ville d’Ambilobe plus au nord encore, et le siège régional du parc terrestre de l’Ankarana, objet de ma seconde évaluation.
Quelques unes de mes impressions, en désordre…
Sur les chemins, toujours ces odeurs, c’est fady (interdit) ici de déposer ses besoins sur ceux d’un autre alors c’est partout, dans les rivières, dans la mer, sur les chemins… et ces odeurs sur mon chemin du matin…
Et ces jeunes filles qui se lavent dans quelques centimètres d’eau, sur le bord d’une route. Ces hommes en guenilles, ces femmes qui attendent allongées sur une pile de linge, ces enfants seuls le soir dans les rues de Hell-Ville, ces chiens errants…
Ma peau, cette barrière. Le regard de ces femmes, regards noirs, peut-être le poids de l’histoire, et mes sourires sans réponse…
L’aide internationale s’est retirée, les grands de la planète en ont décidé ainsi : coup d’Etat, le peuple est puni. La crise dure, les politiques s’enrichissent, les habitants attendent dans cette saleté, dans cette boue, dans cette misère. C’est la survie ici.
Et pourtant, il y en a énormément de richesses dans ce pays, un potentiel de fou, des richesses dans le sol, des paysages magnifiques, un potentiel touristique, c presque incroyable que Madagascar soit dans les pays les plus pauvres au monde.
Les gens meurent de faim ici et pourtant, un vieil homme meurt dans un village et c’est sa maison, tous ses biens et ses 100 zébus qui partent en fumée ; les gens meurent de faim ici et pourtant, les gens font de « l’élevage contemplatif » ; ils élèvent des poulets, ne mangent pas les œufs et gardent les poulets pour la venue d’un « invité » qui ne vient jamais, alors c’est brède (sorte de feuilles qui trempent dans un bouillon) qui sert à « mouiller notre riz » (franchement tristesse, c’est dire la pauvreté ici). Dans la brousse, les mères ne donnent que du riz à leurs enfants et considèrent que les fruits, « c’est pour les animaux ». Chaque jour, 270 enfants meurent de sous-nutrition.